Après des études d’ingénieur, Richard Mesple fonde MW-Line SA, un chantier naval pour bateaux solaires en collaboration avec Mark Wüst. En quinze ans à la tête de l’entreprise, il construit et vend une quarantaine de bateaux à moteurs électriques alimentés par le solaire. Avec son équipe, ils construisent également le SUN21, le premier bateau qui traverse l’Atlantique à l’énergie solaire. De 2010 à 2020, Richard Mesple travaille ensuite comme directeur pour la société SI-REN SA, détenue à 100% par la Ville de Lausanne, qui œuvre dans les secteurs de production électrique d’origines renouvelables (photovoltaïque, éolien, géothermie et biomasse). En 2020, il prend finalement la direction de Local Energy SA qui travaille sur la transition énergétique d’objets immobiliers. La société s’occupe des infrastructures énergétiques des bâtiments - anciens ou neufs - et investit dans la production d’énergie photovoltaïque, de chaleur renouvelable et dans les bornes de recharges pour les véhicules électriques.
Quelle est l’histoire du développement du solaire photovoltaïque en Suisse?
Dans les années 2000, la Suisse était plutôt en avance dans ce domaine, ce qui a peut-être donné l’impression à cette époque qu’elle figurait parmi les leaders du photovoltaïque. Elle jouissait - et c’est toujours le cas aujourd’hui - de très bons laboratoires de recherche et d’innovation desquels émanaient de nombreux projets pilotes. Mais le déploiement opérationnel sur le terrain n’était lui pas suffisant. Les innovations faisaient du bruit mais ne représentaient que des solutions anecdotiques, comme par exemple les cas des bateaux solaires qui ont été médiatisés dans le monde entier. En résumé, beaucoup de bruit et de fierté pour peu de MWh produits.
A peu près au même moment, entre 2005 et 2009, l’Allemagne a eu la bonne idée de lancer un système de tarif de reprise qui a généré un boom du solaire. La production de panneaux a alors beaucoup augmenté et par conséquent les prix ont baissé. La Chine s’est ensuite intéressée à son tour à ce domaine, ce qui a encore poussé les prix à la baisse pour finalement mener à la situation actuelle: le photovoltaïque devient la technologie la moins chère au monde pour produire de l’électricité de manière fiable.
L’évolution des ventes de panneaux est présentée dans le tableau ci-dessous. On voit clairement une augmentation autour de 2011-2012, un creux à partir de 2014 puis une nouvelle augmentation en 2019 et 2020. Comment peut-on l’expliquer?
En 2011, l’augmentation des ventes est liée à la mise en place de la RPC (Rétribution à Prix Coûtant) qui a généré beaucoup d’engouement. A partir de 2014, le passage de la RPC à la RU (Rétribution unique) a eu pour conséquence un ralentissement très net. Le défaut de la RU est qu’elle crée de l’incertitude chez les propriétaires de panneaux solaires concernant leur retour sur investissement. Ils doivent alors compter sur la vente de l’énergie produite par leurs panneaux au GRD (Gestionnaire de Réseau de Distribution) avec l'instabilité du tarif de reprise que nous connaissons et sur l'autoconsommation et le risque lié à cette dernière pour rentrer dans leurs frais.
Finalement, la nouvelle augmentation de 2019-2020 est liée à une prise de conscience de la population et à un changement des comportements. De plus, les propriétaires immobiliers deviennent convaincus qu’ils perdront prochainement de l’argent si leurs bâtiments ne deviennent pas verts d’ici quelques années. A noter toutefois que le soutien RU, bien qu’imparfait, reste toujours indispensable.
Quelles sont vos prévisions pour les années à venir?
C’est très difficile de faire des prévisions. Ce que je peux dire, c’est que la vitesse de déploiement est trois fois en dessous de ce qu’elle devrait être. Nous prenons du retard.
Quels sont les trois facteurs clés qui permettraient de déployer de manière massive l’énergie solaire?
Il faut premièrement simplifier les procédures administratives qui sont chronophages. Tout est actuellement trop compliqué. De plus, il y a des disparités qui sont problématiques. Par exemple, pour installer une production de 3 kW sur son toit, il faut demander une multitude d’autorisations. A l’inverse, il n’y a pas de contrainte pour consommer 3 kW sur une prise existante. Mais fondamentalement, soutirer de l’énergie ou en produire devrait être traité équitablement. C’est plutôt aux personnes qui ne veulent pas mettre de solaire sur leur toit de demander une autorisation pour ne pas le faire !
Le deuxième facteur important à revoir est la qualité de l’information qui est donnée à la population. Lorsqu’une personne souhaite poser des panneaux photovoltaïques, elle se pose forcément mille questions, telles que: Faut-il rénover le toit et l’enveloppe du bâtiment avant? Dois-je aussi changer le chauffage? Quid des bornes et de notre future voiture électrique? Il est donc important de l’aider à s’orienter correctement. L'accompagnement est indispensable et ce rôle est souvent minimisé.
Un troisième point concerne le manque de professionnels qualifiés. De plus, certaines entreprises font concurrence aux entreprises « sérieuses » grâce à des prix très bas, incompatibles avec du travail de qualité. Les monteurs sont parfois payés aux panneaux posés, ce qui les motive à travailler vite plutôt que bien. Les conséquences sont des installations de moins bonne qualité qui peuvent ensuite poser des problèmes et diminuer la confiance de la population dans le solaire.
Selon vous, quelles sont les décisions qui doivent être rapidement prises et par quels acteurs? Avez-vous des exemples concrets dans d’autres pays?
La première chose à faire est d’accélérer le déploiement du solaire. Pour cela, il faut que la Confédération prenne des décisions claires. Le produit est à maturité depuis de longues années et demande juste à être posé sur les toits. Nous devrions aussi autoriser sans réserve l'agrivoltaïsme qui obtient d'excellents rendements en agriculture et en énergie. Cependant, certaines communes, cantons ou entreprises peuvent tenir des discours contradictoires ou discordants sur les manières d’appliquer le solaire et sur la vitesse à laquelle il doit se développer. En Autriche par exemple, pays qui ressemble beaucoup à la Suisse notamment en termes de topologies, il y a plus de 1400 éoliennes alors que la Suisse n’en a que 37. Cela montre l’importance des décisions politiques. Dans le cas de la crise sanitaire, la Confédération a pris des décisions fortes. Elle pourrait aussi le faire pour la crise climatique mais il y a probablement une autre compréhension des enjeux et de la problématique. Nous devrions parler d'action énergétique plutôt que de transition.
En cas de croissance hyper-rapide du solaire, quels sont les principaux défis que vous anticipez?
Le manque de personnes qualifiées. Il y aura une pénurie de travailleurs dans les domaines techniques qui représentera plusieurs centaines de milliers de postes de travail rien que pour la Suisse. Je ne crois pas en revanche à la pénurie de matériel. Un panneau est aujourd’hui simple à produire.
Souhaitez-vous aborder un dernier point?
J’aimerais faire le lien avec la voiture électrique. Dans ce domaine, les acteurs historiques étaient bien en place. Il a fallu cependant un nouvel acteur californien qui a repensé la production de la voiture pour que la technologie décolle. Ils ont redémarré de zéro et remis en cause l’entier de la chaîne de production habituelle. C’est ce qui a permis de donner un coup d’accélérateur aux véhicules électriques, avec les conséquences que l’on voit actuellement. Peut-être faut-il aussi repenser le modèle du solaire pour aller plus vite? On voit que le déploiement d’une technologie progresse bien lorsqu’elle devient intéressante du point de vue financier. Les trois piliers de la durabilité incluent le social, l'environnement et la finance. Nous avons donc tout pour bien faire dans la durée en respectant ces trois piliers. J'ajouterais aussi que la sécurité d'approvisionnement de la Suisse passera par une production locale et renouvelable. Les énergies renouvelables répondent bien à ce critère du moment que nous les avons installées. Alors, pourquoi s'en priver?