Il y a quelques mois, le quotidien britannique The Guardian révélait les résultats d’une enquête qu’il a menée sur les crédits carbone achetés par de nombreuses grandes firmes. Il affirme que cette méthode de compensation serait en réalité sans grande valeur et la mention “entreprise neutre en carbone” erronée. Un constat corroboré par le CEO de Verra, l’un des plus grands certificateurs en la matière. Quels sont les problèmes et limites pointés?
Le marché du carbone s’est développé à la suite du protocole de Kyoto qui, adopté en 1997 par 192 pays, est venu s'ajouter à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Chaque nation signataire s’étant ainsi engagée à ne pas dépasser un certain plafond d’émissions de gaz à effet de serre, le marché du carbone a été instauré pour permettre entre elles des échanges de permis d’émissions, mais aussi des échanges de crédits carbone. Ces derniers représentent une unité équivalente à une tonne de dioxyde de carbone évitée ou stockée définitivement et peuvent fonctionner comme un certificat attestant qu’un projet atteigne cet objectif. Les pays, mais aussi leurs collectivités publiques, entreprises et autres entités peuvent les obtenir en investissant dans de tels projets ou en les achetant à un autre émetteur de carbone qui en a en surplus. Tout comme pour la taxe CO2, le principe est alors celui du pollueur-payeur.
Une simple transaction financière ne suffit pas à devenir neutre en carbone
Limiter l’utilisation des énergies fossiles est une méthode éprouvée pour lutter contre le réchauffement climatique. En revanche, le recours à la compensation carbone l’est moins, plus particulièrement lorsque les acteurs investissent dans des projets externes pour “s’autoriser” à continuer d’émettre eux-mêmes du carbone. C’est pourtant la méthode utilisée par de nombreuses grandes entreprises pour s’affirmer neutres en carbone. Deux sortes de projets sont utilisés: ceux qui visent à réduire les émissions de gaz à effet de serre dans un autre secteur d’activité et ceux qui séquestrent le CO2 hors de l’atmosphère en recourant à des technologies d’émission négative ou en renforçant les puits naturels tels que les forêts. L’enquête de The Guardian, menée en collaboration avec Die Zeit et l’ONG d’investigation SourceMaterial, dénonce justement ces projets et en particulier ceux de protection contre la déforestation qui auraient très souvent concerné des forêts tropicales non réellement menacées. Des dizaines de millions de compensations ont ainsi été approuvées, notamment par l’ONG Verra, alors que plus de 90% de ces dernières n’auraient qu’un faible impact sur le climat, voire aucun. Les entreprises y ayant recours ne sont cependant pas forcément responsables de ce greenwashing, car minimum trois autres entités interviennent dans l’équation à savoir celle qui gère le projet, celle qui commercialise le crédit et finalement celle qui garantit la validité du crédit délivré par la précédente. Tout l’enjeu réside alors dans la transparence et le suivi de cette chaîne de valeur.
La compensation peut néanmoins faire partie de la solution
Malgré la démission du directeur de Verra après avoir admis des lacunes dans leur système d’accréditation, l’ONG se défend en invoquant à son tour des erreurs de calculs dans l’enquête des journalistes. Si les crédits carbone accordés n’ont pas toujours la valeur escomptée, cela ne signifie pas que les projets associés n’ont eu aucun effet. Il s’agit plutôt de revoir les méthodes d’évaluation et d’établir des consensus entre elles. Les pratiques d’émissions négatives compensatoires restent une partie de la solution et sont par ailleurs reconnues par l’initiative SBT (initiative d’objectifs basés sur la science) qui, pour valider des objectifs net zéro carbone, astreint les entreprises à réduire de 90% leurs émissions mais les autorise à compenser l’équivalent de 10%. L’objectif n’est par conséquent pas de détourner les entreprises de la compensation, simplement de les encourager à ne pas s’en contenter.